Le plus important dans l'amitié, c'est d'avoir quelqu'un sur qui on peut compter à n'importe quel moment, pour n'importe quelle raison. Dans les bons mais surtout dans les mauvais moments. Heureusement, Cleo a toujours été là pour moi, depuis l'époque des bacs à sable. Ma meilleure amie, la seule et l'unique. La soeur que je n'ai jamais eu. Celle qui me permet de remonter la pente, de continuer d'avancer, malgré tout. Alexis me manquait horriblement, et je n'arrivais pas à oublier les circonstances de cette histoire. Je me sentais responsable, et je culpabilisais pour ça. Je n'avais pas réussi à la sauver. Depuis quelques mois, je passais la plupart de mon temps en compagnie de Cleo, pour éviter d'être gagné par la solitude. « Tomey... il faut que je te demande quelque chose. » Elle était devenue sérieuse (et oui, elle savait l'être, parfois). « Oh tu sais que tu me fais peur quand tu deviens aussi sérieuse. » Je la taquinais une nouvelle fois, tout en explosant de rire. Je venais de croiser les bras, pour l'imiter et pour me moquer gentiment d'elle. « Arrête tes conneries Tom, pour une fois dans ta vie ! » Oui, j'y peux rien, l'humour, ça me détend ! « Tu sais que tu passes quasiment tout ton temps ici en ce moment... » Ça y est, elle en avait déjà marre de moi. « Je suis désolé Cléo, je vais te laisser tranquille, c'est promis. Faut que je me reprenne en main, je ne peux pas vivre à tes crochets toute ma vie... » Mais c'était plus fort que moi, j'avais besoin d'elle, de sa présence. Elle était devenue mon équilibre, mon repère, celle qui m'empêchait de sombrer dans la dépression. « T'es vraiment le pire des idiots toi ! Je ne veux pas te mettre dehors et me débarrasser de toi, au contraire. Voilà... en fait... j'aimerais te proposer de venir emménager ici, avec moi. » C'était déjà un peu le cas en fait, puisque je restais presque une nuit sur deux ici. Mes affaires étaient déjà toutes éparpillés dans l'appartement. Un vrai petit couple de colocataires. Et pourtant sa démarche résonnait comme officielle, et ça me faisait extrêmement plaisir. « T'es sûre que tu vas réussir à me supporter 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ? » Je suis jamais sérieux, je sais. « A vrai dire, quand t'es pas là, l'appartement est vide sans toi. Et puis, tes conneries me manquent, je l'avoue. » Comme quoi, l'humour avec les filles, ça fonctionne. Bref, plus sérieusement, j'étais heureux de sa demande officielle. Après tout, je me sentais bien à ses côtés. Et il était toujours agréable d'avoir une épaule sur qui compter. A vingt-trois ans, je commençais donc à vivre en colocation avec ma meilleure amie.

Au final, cette colocation a changé beaucoup de choses dans notre relation. « Bon les tourtereaux, c'est quand que vous nous annoncez la bonne nouvelle ? » Mon meilleur ami, Andy. Toujours très direct dans ses propos. Il m'a toujours fait chier avec Cleo, pensant que nous étions faits l'un pour l'autre et toutes ces conneries. Mais je n'étais pas prêt pour l'entendre, et encore moins l'admettre. Depuis Alexis, j'enchainais les conquêtes amoureuses sans lendemain. Je brisais des coeurs comme je disais bonjour, et ça m'était complètement égal. « J'ai vraiment la tête de quelqu'un qui veut me poser ? Avec ma meilleure amie en plus ? » C'était impensable. Et pourtant... « Ses yeux pissent l'amour quand elle te regarde. Tu es vraiment aveugle de ne pas t'en rendre compte. » C'est vrai qu'il n'était pas le premier à me le dire. Mais je ne faisais pas gaffe à ses propos. Pourtant, il fallait que je me rende à l'évidence. Nous vivons ensemble, et nous faisons presque tout ensemble. Comme un vrai petit couple sans l'être officiellement. C'est bizarre quand même. Je crois simplement qu'en réalité je me suis jamais posé la question par peur d'admettre la vérité. « Et puis toi c'est pas mieux, tu as toujours son prénom à la bouche, et tu ne jures que par elle. » Il n'avait pas tord. Pour être honnête avec vous, oui, j'éprouvais des sentiments pour ma colocataire. Mais j'avais trop peur de m'attacher à nouveau à quelqu'un, de lui ouvrir mon coeur. Et si je la perdais elle aussi ? Cette peur me paralysait au plus profond de moi-même. Et Cleo savait, me connaissant par coeur, que je n'étais pas vraiment prêt à l'idée de refaire ma vie. Peut être n'a-t-elle jamais osé faire le premier pas vers moi pour ça ? Ou peut-être avait-elle simplement peur que je lui brise le coeur, comme je le faisais avec toutes les autres femmes. Mais ce n'est pas n'importe qui dans ma vie, et je ne pourrais jamais lui faire du mal. Alors, un soir, je me suis lancée. « Cleo, je crois qu'il est temps qu'on se rende à l'évidence. » Elle faisait mine de ne pas comprendre, mais son petit sourire en coin venait de la trahir. « Et ne fais pas la surprise, tu sais très bien de quoi je parle. » Finalement, c'était tout ce qu'elle rêvait d'entendre. Qu'on brise enfin la glace par rapport à ça. « Oh, puis merde ! » J'étais parfois maladroit, mais je m'en foutais. Je pris le risque de poser mes lèvres sur les siennes, sans même lui dire ce que j'avais à lui dire. Parfois, il n'y a pas besoin de grands discours hein ! Voilà comment notre histoire d'amour a vraiment démarré, alors que j'avais vingt-cinq ans. J'avais eu trois ans pour me préparer à une nouvelle histoire sérieuse. « Depuis le temps que vous vous tournez autour... autant dire que c'est pas trop tôt, bel effort ! » Merci Andy pour ton soutien, c'est adorable de ta part ! « Non, mais faites-moi au moins le plaisir de me dire que j'avais raison depuis le début. » Oui, non, c'est bon.

Notre couple a connu des hauts, et des bas. Beaucoup trop de bas même, je trouve. Mon passé et ma peur m'empêchaient clairement de faire les choses bien. Alors oui, j'ai fait pas mal d'erreurs. Mais ces erreurs m'ont permis d'avancer, et de comprendre que Cleo était réellement la femme de ma vie. Je ne voulais pas la perdre, et je ne pouvais pas vivre sans elle. Avec les années, j'ai mûri, et je me suis assagit. Heureusement pour moi, Cleo n'était pas désespérée de moi. Elle avait le don de voir le meilleur en moi. Au final, après deux ans mouvementés ensemble, nous avons réussi à nous poser, convenablement. Nous avions trouvé un certain équilibre dans notre couple, et nous vivions un véritable conte de fée. Le bonheur à l'état pur. Et deux après, je sortais le grand jeu. Alors que nous étions en vacances au soleil, j'avais organisé une soirée sur la plage, en tête à tête. Oui, bon, c'est un peu cliché, certes, mais je vous emmerde. Je suis amoureux, et je veux que Cleo devienne ma femme. « Rejoins-moi sur notre plage préférée à 21 heures, j'ai une surprise pour toi. » Non, sérieusement, grâce à elle, j'étais devenu un autre homme. Je ne me reconnais plus, et d'ailleurs je recevais de nombreuses remarques de la part de mes proches. Ils me taquinaient avec beaucoup de plaisir sur le sujet. « Cleo... tu partages ma vie depuis quatre ans maintenant. Et tu as toujours su faire ressortir le meilleur de moi-même. Je sais que je n'ai pas été parfait dans le passé, mais je veux que tu saches que tu es l'amour de ma vie, Cleo. Je ne peux plus me passer de toi, et j'aimerais que tu sois officiellement mienne. » Ses yeux commencèrent à s'humidifier de joie. Elle savait sans doute ce qui suivrait. Me mettant à genoux dans le sable, avec mon plus grand sourire, je poursuivais mon petit discours. « Cleo... veux-tu m'épouser ? » Une demande digne des films américains. Je vous avais prévenu que j'avais sorti le grand jeu... cette demande signifiait beaucoup de choses pour moi. Et pour Cleo, elle résonnait comme la preuve qu'elle ne s'était pas trompée sur mon compte. Une preuve d'amour que je venais de lui faire. « Évidemment ! » Et elle s'était jetée sur moi, heureuse, épanouie. Ce fut le plus beau jour de notre vie. Nous avions prévu de nous marier un an et demi après, le temps de tout organiser. Elle avait toujours rêvé d'un mariage de princesse, et c'est ce que j'allais lui offrir. Me voila donc fiancé, à vingt-neuf ans.

J'avais désormais trente ans. « Soldat O'Connor, nous avons besoin de vous. » Je n'aimais pas ce ton sérieux que mon supérieur venait de prendre. « Nous devons nous rendre en Irak, pour intervenir. » En Irak, en plus, de quoi me remémorer des mauvais souvenirs. « Chef, je me marie dans à peine 6 mois, vous pouvez pas prendre quelqu'un d'autre ? » C'était la première fois que je m'opposais à lui. « Cette mission est délicate, et je ne peux pas me permettre de me passer de mon meilleur soldat. » Je n'avais pas le choix. Je devais obéir aux ordres, au risque de me faire mettre à pied. Je sais que Cleo aurait du mal à comprendre... mais c'était mon devoir d'intervenir pour mon pays. « Bébé, j'ai quelque chose à te dire. » Mon ton était sec, froid, terriblement sérieux. Ma fiancée me connaissait par coeur, et comprendrait sans doute tout de suite qu'il y avait un problème. « Ne me dis pas que tu dois repartir en mission, pas maintenant... » A chaque fois que c'était le cas, Cleo était angoissée, et n'arrivait plus à dormir correctement. La peur s'emparait de son corps, et elle pouvait rien y faire. Elle détestait le fait que je sois militaire, et connaissait absolument les risques. Elle avait toujours peur de voir débarquer mon supérieur avec une mauvaise nouvelle à sa porte. C'était sa hantise, et elle en faisait régulièrement des cauchemars. « Je suis désolé bébé, je n'ai pas le choix. » Cleo se mit à pleurer. « Et le mariage, t'y penses ? » Justement, je ne pensais qu'à ça. « Je serais revenu pour le mariage, je te le promets. Tu vas tellement être occupée avec tes parents pour les préparatifs que tu ne te rendras même pas compte de ma petite absence. » Ne pas faire des promesses qu'on ne peut pas forcément tenir. Au final, je m'étais envolé pour l'Irak quelques jours après. Une mission extrêmement délicate, comme l'avait précisé mon supérieur. Les attaques étaient multiples, et de tous les fronts. Nous n'avions pas une seule minute de répit. Et nous n'étions jamais à l'abri. Une nuit, notre base fut touchée par une explosion. Un missile venu des airs venait de nous percuter. Toute notre base venait d'exploser, dans un bruit sourd. C'était le chaos total. Des cris, des pleurs, et des morts. Beaucoup de morts. J'avais perdu connaissance au moment de l'explosion. Le trou noir, le grand vide. Et au final, je fus transféré dans un hôpital américain. J'avais été recueilli par des soldats américains, et ramené. J'avais été le seul rescapé de cette explosion en Irak. Le seul rescapé irlandais. Je n'avais aucun papier sur moi, rien. Et je n'avais pas pu être identifié. J'étais resté dans le coma pendant de longs mois. Parallèlement, Cleo eut une visite à sa porte, comme ce qu'elle redoutait le plus. « Il y a eu une explosion. Je suis désolé, mais personne n'a survécu. » Ma fiancée n'avait pas eu la force de répondre. Elle s'était effondrée sur le porche, en sanglots. Je ne reviendrais pas pour le mariage. Je venais d'être présumé mort. Et le pire, c'est que Cleo attendait mon retour pour m'annoncer une deuxième bonne nouvelle ; sa grossesse. Mais elle était désormais seule au monde, avec un bébé dans le ventre. Je n'étais plus là, je venais de mourir au front. Du moins, c'est ce qu'elle croyait. De mon côté, sur le sol américain, je venais d'ouvrir les yeux, six mois après l'explosion. Six mois de coma, et surement de nombreuses séquelles. Mais après de nombreux tests, je m'en tirais comme un véritable miraculé. Des cicatrises, des os cassés des pieds à la tête... j'étais une véritable momie. Et j'ai été contraint de rester à l'hôpital pendant un an et demi afin que je me remette entièrement de mes blessures. Je n'avais eu aucun moyen de communiquer avec l'Irlande, et encore moins avec la femme de ma vie, qui m'avait permis de tenir le coup pendant tout ce temps. Finalement, deux ans après avoir quitté Cleo pour partir en mission, je faisais mon grand retour sur le sol irlandais. J'avais été remercié de l'armée et contraint à la retraite forcée. J'étais devenu un simple citoyen, comme un autre. Mais j'avais vécu pendant deux ans présumé mort. Et il était temps pour moi d'annoncer ma résurrection. Cork, me voilà enfin de retour. J'espère pouvoir retrouver ma vie d'avant, sans que rien n'ait changé. Mais j'étais loin de m'imaginer ce qu'il m'attendait... En deux ans, beaucoup de choses ont changé.